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nous deux dans un chalet en
Autriche, dans un vieux lit,
tout mou, avec un trou au
milieu, je chanterai, comme
pour ton anniversaire, juste
pour toi, nous regarderons
les chamois, je m’habillerai
en Autrichienne, ça fera
ressortir mes seins, tu as
toujours aimé mes seins, je
ne mettrai pas de culotte,
tu me regarderas avec ton
sourire au-dessus de la
couverture, tu boiras du café,
tu mangeras des croissants,
non, les croissants c’est pour
les Français, tu mangeras
des saucisses, non, pas
des saucisses ! tu grignoteras
des gâteaux, voilà,

des petits gâteaux, avec tes mains de
la côte Est, on ira se promener dans
la montagne, je serai bronzée, tu
étendras ton manteau sur la neige,
tu diras : « mademoiselle Monroe
daignerait-elle poser ses petites
fesses ici ? », tu sais très bien
qu’elles ne sont pas petites !

je me sentais laide au bord de la
piscine, les autres filles étaient
tellement jolies, tu m’as demandé :
« mademoiselle a du chagrin ? »,
je ne t’avais pas vu arriver,
qu’est-ce que tu voulais que je
réponde ? que je pensais devenir
une star, qu’un studio m’avait
fait un contrat, que j’avais été
deux fois figurante, que personne
ne m’appelait, que j’allais finir
serveuse dans un diner

je voyais tes chevilles
bronzées
dans tes mocassins bleus
mes grosses cuisses s’étalaient
sur la marche, pourtant
elles étaient plus minces que
maintenant, je recourbais mes
pieds pour que tu ne les voies
pas, tu t’es assis à côté de moi :

‒ qu’est-ce que vous faites de
beau dans la vie ?
‒ actrice…
tu ne disais rien
‒ oh vous savez c’est tout
simple ! on arrive sur le
plateau, on déclame sa
phrase et on repart !
ma voix de petite fille qui
montait
tu étais si calme

tu as dit : « un peu mannequin
aussi… », tu as souri, j’ai ri
bêtement, tu avais le magazine
à la main, c’est moi qui l’avais
laissé sur le transat, tu sais
la photo de couverture où je
marche de dos dans la rue, on
voit ma jupe rouge, plissée,
courte, qui commence à
s’envoler, mes ballerines bleu
clair, mon mollet tendu, bronzé,
ma petite veste bleu marine, mes
cheveux mouillés en arrière,
striés, l’eau fait des mèches
brunes, on a l’impression que
je vais me retourner…

tu as commencé à le
feuilleter, je ne trouvais pas
ça très chic
tu tournais les pages
calmement
puis tu revenais à la
couverture

‒ et si nous allions nous
promener…
‒ nous promener ?
ma voix idiote
‒ nous promener, oui… sur
la plage…
‒ sur la plage ?
ma voix encore plus idiote
tu te souviens, ensuite, sur la
plage ? mon maillot m’allait
à merveille, au début de la
plage les gens avaient sifflé,
les hommes s’étaient levés,
certains avaient applaudi,

tu leur avais fait un signe
de la main, tu avais l’air de
trouver ça normal, nous
étions seuls au bout de la
plage, je ne savais même pas
qui tu étais, j’avais entendu
dire qu’il y aurait un jeune
sénateur mais il y avait tant
d’histoires sur les invités,
c’est quand tu as dit « au
sénat » que j’ai compris mais
c’était déjà le soir

j’avais déjà fermé les yeux
tu avais déjà mis ta main sur
mon cou
le matin je faisais semblant
de dormir, tu soufflais sur
le bas de mon dos
je sentais tes yeux fixés sur
les deux petits creux
à droite et à gauche
juste au-dessus de mes fesses
je les sentais monter sur mes fesses
redescendre sur mes cuisses
chercher mes pieds
heureusement cachés par
la couette

remonter sur mes cuisses
sur mes fesses
s’arrêter dans les creux
je sentais mon corps
menu
enfoncé dans cette grande
couette
je me suis mise à sourire
tu ne le voyais pas
tes yeux restaient fixés
sur les creux

j’ai fait mine de me réveiller
j’ai fait « hum… »
tu n’as pas entendu
la plus belle fille du monde fait hum et tu ne l’entends pas !
je n’étais pas encore la plus
belle fille du monde
j’ai failli dire : « oh, hé,
je suis là ! »
je n’ai rien dit
j’ai fait : « pfff »
tu as tourné la tête :

‒ mademoiselle a bien
dormi ?
‒ mademoiselle a très
bien dormi et monsieur
le sénateur ?
tu te rappelles ma voix ?
comme elle était cassée
comme elle se réveillait
tu as souri : « monsieur
le sénateur a très bien
dormi »
je n’avais pas dormi une
minute, je t’avais regardé
toute la nuit, tes lèvres
en w, ta clavicule bronzée
qui se soulevait…

j’ai quitté le tournage pour venir
chanter à ton anniversaire, j’ai perdu
mon contrat, j’ai traversé le pays, j’ai
répété pendant deux jours, j’ai essayé
ma robe pendant deux jours, on me l’a
cousue à même la peau, j’avais grossi,
j’ai pas mal chanté, j’avais pris trop de
pilules, je m’endormais, c’était nul, on
n’entendait rien, je murmurais, ce que
je pouvais être mal, j’ai cru que j’allais
m’évanouir après Happy Birthday… to
you… le public adore quand je vais mal,
pourquoi j’ai grossi ? je ne mange pas
plus, je ne bois pas plus, je fais plus
de lavements, plus de piqûres, enfin…

je suis tout de même pas mal,
des vergetures sur les fesses,
sur le côté, j’en avais jamais
eues, le plus beau cul de la
profession, tu parles ! […]